Lettres
persannes (1721) de Montesquieu (1689-1755)
Notre
extrait l 28 à 48 : se servir du début pour situer
le texte (les embarras de Paris), la partie
finale sert pour la conclusion, cest une critique
fait au pape contre les jansénistes.
Présentation :
Cest
un roman épistolaire : 2 persans Usbek et Rica
visitent la France de 1712 à 1721, ils correspondent
avec leurs amis restés en Orient (cest un dialogue
entre Orient et lOccident). Les deux persans vont
avoir un regard étranger, ils vont sétonner de
certaines choses qui nous paraissent normales. Cela
permet à Montesquieu de dénoncer les murs et les
habitudes françaises, de critiquer le système
politique, la religion
La
lettre 24 est la première de Rica. Elle présente le roi
de France et le pape comme des magiciens capables de
faire accepter à leurs sujets et fidèles nimporte
quelle contrevérité.
La
chronique de Rica continuera par lévocation du
théâtre, de lÉglise chrétienne, de la sotte
curiosité des Parisiens qui sécrient :
« Comment peut-on être Persan ? » Usbek
et Rica se relaient ensuite pour parler de lalcool
et du café, de la situation des femmes et de la
hiérarchie sociale, du jeu et du libertinage, du suicide
et du duel.
Enonciation :
cest Rica qui parle.
Une
lettre fictive : Ladresse, la forme
générale révèle lune des caractéristiques
majeures du texte : lécriture épistolaire.
Lénoncé présenté ici est la lettre quun
dénommé « R i c a », de passage à Paris,
adresse à « Ibb e n », son correspondant
oriental.
Les dates qui figurent à la fin du récit de Rica («
le 4 de la lune de Rediab, 2, 1712 » ) et dans le
paratexte soulignent la présence dun double
système dénonciation: la lettre rédigée en 1712
appartient au roman épistolaire que Montesquieu publia
en 1721. Il sagit donc dune lettre fictive.
Un
énoncé ancré dans la situation d é n o n c i a
t i o n
De multiples indices permettent au lecteur
didentifier les circonstances qui président à la
rédaction de cette lettre.
Les premiers mots laissent entendre que Rica nest
pas seul (il est accompagné dUsbek, dont le nom
nest pas cité) et quil voyage.
Par lemploi du présent dactualité et le jeu
des indications spatio-temporelles, nous savons
précisément où et quand fut écrite la lettre. Bien
des éléments révèlent également les origines orientales
de son énonciateur :
Certaines informations nous sont données par les
formules douverture et de clôture : noms aux
consonances étrangères (« Rica », « Ibben ») ;
indication de lieu (« Smyrne », ancien nom de la
ville turque dIzmir) ; référence au calendrier
persan
Dautres sont inhérentes au contenu du
message : comparaison entre Paris et Ispahan; allusion
aux maisons basses des villes orientales ; évocation des
« voitures lentes dAsie » et du « pas
réglé (des) chameaux ».
Ces références à lOrient permettent à
Montesquieu dévoquer la société française des
dernières années du règne de Louis XIV et de la
Régence, dune manière insolite et détournée.
Une rhétorique de létonnement
Le
regard que les Persans portent sur le monde qui les
entoure est fait de naïveté et détonnement,
ainsi quen témoignent les propos de Rica.
La hauteur des maisons, la promptitude avec laquelle les
Français se déplacent, lincessante agitation qui
règne dans la capitale ou les étranges pouvoirs du roi
de France surprennent létranger.
En cédant la parole à un étranger que tout étonne,
Montesquieu se donne les moyens deffectuer, non
sans prudence, une satire mordante de la société
française.
Le regard étranger était très utilisé au XVIIIe
siècle, comme par exemple lIngénu.
==> Relativité des cultures (différent de
lethnocentrisme). Tous les philosophes se sont
battus contre lethnocentrisme.
Critiques :
- de la monarchie absolue et du centralisme
étatique ; Roi de France, et sa manière
dexercer le pouvoir.
- remise en cause de labsolutisme ?
- Montesquieu reproche à lEglise
dêtre trop riche et trop puissante. De
sintéresser trop à la matière.
- Le Pape et son pouvoir sur le roi.
- Critique de lanthropomorphisme ==>
lhomme se représente Dieu à son image.
Mais aussi :
- Vie parisienne : embarras, agitation
excessive.
« Constitution » : condamnation
par le pape des Jansénistes. Bulle Unigenitus.
Organisation : Les
critiques sont rangées par ordre croissant. La première
critique (embarras de Paris) est assez anodine. Elle
permet de préparer les plus virulentes. Les critiques du
Pape et du Roi sont assez audacieuses.
Les embarras de Paris
Boileau nommait dans lune de ses satires « les
embarras de P a r i s ».
Les champs lexicaux de lagitation et de la
rapidité, les verbes de mouvement ou lévocation
dune petite scène de rue, m e t t e n t
laccent sur les difficultés de la circulation et
la frénésie stérile des déambulations à la
française.
Ce « mouvement continuel », révèle que
Paris une capitale en pleine effervescence.
La ségrégation sociale
Lépistolier évoque également les conséquences
de lessor démographique quenregistre la
capitale au début du XVIIIe siècle. Sil faut «
bien des affaires avant quon soit logé »,
cest que Paris connaît alors une forte crise
immobilière.
La spéculation et laffairisme généré par la
politique économique de Law dont le système
monétaire seffondrera en 1720, ruinant des
milliers de particuliers pérennisent les clivages
sociaux : on édifie de somptueux hôtels particuliers
mais le peuple manque « des choses nécessaires » .
Cette ségrégation néchappe pas au visiteur
étranger.
La vanité des comportements
Rica sétonne également, avec une ironie qui
révèle les véritables intentions de Montesquieu, de la
bizarrerie « d e s murs et des coutumes
européennes ».
Manque de courtoisie, brutalité ou de
linconséquence des passants qui vous bousculent
Critiques adressées au
Roi (et à la société française) :
Vénalité des charges, le fait que
les charges soient à vendre (charges = fonctions
diverses, que le roi peut vendre. Comme officier de
larmée, cuisinier du Roi
..).
Ce système repose sur la vanité des sujets. (Vanité =
désir de briller, de servir le roi, dêtre honoré
par le roi.
« prodige de lorgueil humain » :
prodige de la vanité humaine, la vanité des sujets est
inépuisable.
Montesquieu fait sourire de la naïveté populaire qui
permet au roi de senrichir, « de la vanité de
ses sujets » ou de leur soumission
En
recourant à lexpression familière « il
na quà », lauteur souligne la
facilité avec laquelle le souverain parvient à duper
ses sujets. Son autorité est celle dun usurpateur.
Cette analyse, très juste, est une des premières de ce
système. Très percutante et neuve.
La formulation (30-31) suggère un coup de baguette
magique (prodige = miracle) qui réalise les choses sans
difficultés. Puissance de ce système qui permet au roi
davoir immédiatement des troupes payées, une
flotte équipée. On sent la supercherie et le fait que
le système peut sécrouler (faillite de Law par
exemple).
Deuxième critique :
Montesquieu
multiplie les allusions, souvent ironiques,
à la monarchie française.
Cette dernière est dabord située dans le cadre
élargi de lEurope dont lauteur dénonce le
mercantilisme colonial, faisant allusion aux colonies
péruviennes du roi dEspagne.
Le roi est un voleur, il modifie comme bon lui semble la
valeur de la monnaie.
Rappel de quelques faits antérieurs :
- Entre 1689-1715 : le cours de la monnaie a
varié 15 fois. Chaque fois les pauvres ont été
affectés.
- 1701 : première création de papier
monnaie.
- 1718-1720 : banqueroute de John Law.
Cest un Financier qui est venu en France
proposer ses idées : un système de
crédit, avec du papier monnaie. Il a crée la
compagnie du Missouri pour gérer la Louisiane,
et il lance un emprunt pour rembourser les dettes
de lEtat. Soudain, les actionnaires
prennent peur. Le remboursement est impossible
==> émeutes, John Law est obligé de
démissionner, de senfuir. Tout cela
concourt à faire du roi un manipulateur qui sert
avant tout son intérêt et pas celui de ses
sujets. Son échec pesa lourdement sur
lévolution financière en France.
Rica
présente le roi comme un profiteur désireux de
senrichir.
Peut-être que Montesquieu adresse un
avertissement : le « bel embarras » que
pourrait occasionner le peuple de France « descendu
dans la rue »).
Troisième
critique : pouvoir surnaturel du roi pour
guérir les écrouelles (inflammation des ganglions avec
abcès dû à la tuberculose. On croyait que le roi à
lissue de la cérémonie du sacre avait le pouvoir
de guérir les malades en les touchant. « Le roi te
touche, Dieu te guérit ».
Montesquieu ne croyait pas du tout à ce pouvoir. Il
attaque la monarchie de droit divin.
Il sattaque aux fondements de la monarchie de droit
divin. Le roi est un « grand magicien » p a r c
e quon le croit dessence divine. Lignorance
(et obscurantisme) est ainsi lultime rempart du
royaume.
Dernière partie du texte :
les critiques concernant le Pape.
==> Cest la partie la plus
audacieuse, il ose critiquer le Pape.
« magicien » pouvoir surnaturel qui lui
était accordé. Mais il y a sûrement un autre magicien,
pour susciter la curiosité du lecteur. Cest le
Pape. Cest osé.
Cette phrase détruit les fondements de la
responsabilité du Pape qui est considéré comme un
charlatan, prestidigitateur. La dernière phrase
développe la magie du pape.
Elle fait une présentation moqueuse des mystères de
lEglise, de la Ste Trinité (Père Fils
St Esprit) et de lEucharistie. Faire rire
aux dépens de ce que lon veut critiquer.
Le mot espèce a un double sens (jeu de mot) :
- « truc » de ce genre
- il semploie lors de la communion.
Ces
phrases naïves deviennent des satires, cest une
critique contre les mystères de lEglise.
Cest une critique Voltairienne : on soumet le surnaturel
à la critique de la raison et on parle avec désinvolture
de sujets graves. Cette critique constitue une rare
audace.
==>
rapprocher ce texte avec lIngénu, qui comprend une
critique contre le Pape. Il faut admirer les variations
de registre dans la satire et lart de Montesquieu
pour faire passer les critiques les plus audacieuses
grâce à son héros étranger et sa supposé naïveté.
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